La France durcit sa réglementation sur l’accès aux contenus pour adultes. Depuis l’été 2025, les sites pornographiques doivent obligatoirement vérifier l’âge de leurs utilisateurs sous peine de sanctions. Face à cette mesure, les stratégies adoptées par les plateformes de l’industrie divergent. Et les internautes cherchent tant bien que mal à se connecter à ces sites sans avoir à divulguer leur identité.

Protéger les mineurs

Le 11 janvier 2025 a définitivement marqué un tournant dans la régulation du web français, et pour des millions d’internautes. Ce jour-là entre en vigueur le référentiel de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) qui a été publié en octobre 2024 et qui impose aux sites pornographiques de mettre en place un système robuste de vérification de l’âge. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la loi SREN qui a été promulguée le 21 mai 2024.

Les chiffres justifiant cette intervention sont alarmants, et c’est ce qui a poussé l’autorité à réagir : Selon une étude de celle-ci menée en 2023, environ 2,3 millions de mineurs accèdent chaque mois à des sites X en France, ce qui correspond à plus d’un tiers des adolescents de 12 à 17 ans. Plus inquiétant encore, 51% des garçons de 12 ans et 65% des garçons de 16 ans consultent ces sites régulièrement. L’Académie de médecine a également mis en garde contre les conséquences graves de cette exposition précoce sur la santé mentale et le développement des enfants.

Le référentiel de l’Arcom a été validé par la CNIL et repose sur un principe innovant : le « double anonymat ». Ce système vise à concilier protection des mineurs et respect de la vie privée des adultes. Concrètement, la vérification de l’âge doit être effectuée par un prestataire indépendant du site pornographique. L’utilisateur prouve ainsi sa majorité auprès de ce tiers de confiance, qui ne connaît pas le site consulté, tandis que le site reçoit uniquement une confirmation de majorité sans accéder à l’identité de l’internaute.

Plusieurs méthodes de vérification sont autorisées pour valider l’âge des internautes : analyse faciale par intelligence artificielle pour estimer l’âge, vérification via carte bancaire, envoi de documents d’identité ou encore utilisation de portefeuilles numériques d’identité. Les sites ont bénéficié d’une période transitoire jusqu’au 11 avril 2025 pour mettre en place ces dispositifs avec la possibilité temporaire d’utiliser la simple vérification par carte bancaire.

Des sanctions lourdes et des blocages administratifs

Les sites qui ne se conforment pas à ces obligations s’exposent à des sanctions graduelles, et elles peuvent être très lourdes en conséquences. L’Arcom procède d’abord par des lettres d’observation qui sont suivies de mises en demeure donnant trois semaines aux plateformes pour se mettre en conformité. En cas de persistance du manquement, l’autorité peut ordonner le dé-référencement des moteurs de recherche et le blocage du site par les fournisseurs d’accès internet.

En juin 2025, l’Arcom a mis en garde cinq sites majeurs (Xnxx, Xvideos, Xhamster, Xhamsterlive et Tnaflix) qui sont tous établis à Chypre ou en République tchèque. En août 2025, ces plateformes n’ayant pas réagi ont été mises en demeure officiellement. Parallèlement, le groupe canadien Aylo (qui est propriétaire de Pornhub, YouPorn et Redtube) a choisi une stratégie de protestation en bloquant lui-même l’accès à ses sites depuis la France dès le 4 juin 2025 et refusant de se soumettre à ce qu’il considère comme une réglementation trop intrusive.

La mise en œuvre de cette réglementation s’est heurtée à plusieurs obstacles juridiques. Certaines plateformes ont contesté la mesure devant le tribunal administratif de Paris et elles ont obtenu temporairement sa suspension en juin 2025. Elles invoquaient le principe européen de libre circulation des services et le principe du « contrôle dans l’État d’origine » prévu par le Digital Services Act (DSA). Cependant, le Conseil d’État a tranché le 15 juillet 2025 en faveur du gouvernement français, date à laquelle Pornhub a définitivement quitté le marché français.

Le VPN, bête noire

Si la législation française est parmi les plus strictes au monde, elle se heurte à une limite technique majeure : les réseaux privés virtuels (VPN). Ces outils, qui masquent la localisation réelle de l’internaute en lui attribuant une adresse IP d’un autre pays permettent de contourner facilement les restrictions géographiques et les obligations de vérification d’âge.

Selon DataReportal, 28% des internautes âgés de 16 à 64 ans utilisaient déjà un VPN en 2022 et ce chiffre est en forte progression dans les dernières années. Logiquement, depuis l’annonce des blocages en France, les téléchargements d’applications VPN ont littéralement explosé. Proton VPN, l’un des acteurs majeurs du marché, a enregistré une hausse de plus de 1000% de ses statistiques d’utilisation en France début juin 2025. Il fait partie de tous ces VPN gratuits qui ne demandent aucune information – pas même la vérification d’âge.

Mais cette polémique a pris une tournure inattendue avec le lancement par Free, en septembre 2025, de mVPN : un service de VPN gratuit intégré directement dans le réseau mobile de l’opérateur. Cette première permet aux 20 millions d’abonnés Free de naviguer de manière anonyme en faisant transiter leur connexion par des serveurs situés en Italie ou aux Pays-Bas.

Xavier Niel a lui même confirmé publiquement sur le réseau social X que mVPN permettait d’accéder aux sites pornographiques bloqués en France, et il assume pleinement cette fonctionnalité. Cette transparence a déclenché une vive réaction politique. Le député socialiste Thierry Sother a saisi l’Arcom le 18 septembre 2025 et reproche à l’opérateur de fournir aux mineurs un outil de contournement des mesures de protection. « En particulier, le projet annoncé par le gouvernement d’interdire l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans deviendrait inapplicable si des opérateurs fournissent eux-mêmes des outils généralisés de contournement », a-t-il argumenté pour approfondir le débat.

© Free / Capture d’écran X

Free s’est défendu en rappelant que de nombreux services VPN existent déjà sur le marché – à l’instar des NordVPN, ExpressVPN ou ProtonVPN et que seule une personne majeure peut activer mVPN et que le contrôle parental reste actif même lorsque le VPN est utilisé. L’opérateur invoque aussi son obligation de neutralité du réseau. Olivier Gérard, coordonnateur à l’Union nationale des associations familiales dénonce quant à lui un paradoxe : « Free présente, à juste titre, ce VPN comme un outil de sécurisation des pratiques numériques ; on dit aux parents que pour sécuriser la navigation de leurs enfants, ils doivent leur permettre de contourner les interdits. »

Une tendance internationale de régulation

La France n’est pas isolée dans sa démarche qui vise à protéger les mineurs de ces contenus en lgine. Le Royaume-Uni a mis en œuvre des mesures similaires dans le cadre de son Online Safety Act, une législation adoptée en 2023 dont les premières dispositions sont entrées en vigueur le 25 juillet 2025. Cette loi est supervisée par le régulateur Ofcom et impose aux plateformes hébergeant du contenu pornographique de mettre en place des vérifications d’âge « hautement efficaces ».

L’impact a été immédiat : l’Age Verification Providers Association a enregistré environ 5 millions de vérifications d’âge supplémentaires par jour dès l’entrée en vigueur de la loi. Des sites majeurs comme Pornhub, Reddit, Discord, Bluesky et X ont dû adapter leurs pratiques. Spotify a exigé des scans faciaux via la société Yoti pour accéder aux contenus classés 18+. Le 31 juillet 2025, Ofcom a ouvert des enquêtes formelles contre quatre sociétés gérant collectivement 34 sites pornographiques pour non-conformité.

Tout comme en France, la législation britannique fait face à ses contradicteurs.: Des groupes de défense des libertés civiles, dont l’Electronic Frontier Foundation, dénoncent les atteintes à la vie privée, les risques de censure et l’inefficacité du système face aux VPN. Au Royaume-Uni, les applications VPN sont devenues les plus téléchargées sur l’App Store dès l’entrée en vigueur des restrictions et une pétition réclamant l’abrogation de l’Online Safety Act a recueilli plus de 400 000 signatures.

Outre-Atlantique, la situation est encore plus fragmentée. À la mi-2025, 25 États américains ont adopté des lois exigeant la vérification de l’âge pour accéder aux contenus pour adultes. La Louisiane a ouvert le bal en janvier 2023, suivie rapidement par l’Utah, la Virginie, le Mississippi et l’Arkansas. Le Texas, la Floride, le Tennessee, l’Indiana, le Montana, la Caroline du Nord, l’Idaho, le Kansas, le Nebraska, le Kentucky, l’Alabama, la Géorgie, le Wyoming, le Dakota du Sud, le Dakota du Nord, l’Arizona, l’Ohio, le Missouri et la Caroline du Sud ont emboîté le pas.

Ces loi, imposent la vérification pour les sites où plus d’un tiers du contenu est pornographique. Les sanctions peuvent être sévères : au Texas, le procureur général Ken Paxton a poursuivi XHamster et Chaturbate, réclamant respectivement 1,67 million et 1,78 million de dollars d’amendes pour non-conformité. Certains États comme le Texas vont plus loin en obligeant les sites à afficher des avertissements sanitaires affirmant que « la pornographie est potentiellement biologiquement addictive » et « nuit au développement du cerveau humain ».

La Cour suprême des États-Unis a validé le 27 juin 2025 la constitutionnalité de la loi texane, et c’est une décision majeure qui pourrait encourager d’autres États à suivre. Pourtant, l’efficacité de ces mesures reste débattue. En Louisiane, qui est le premier État à avoir légiféré, Pornhub rapporte un taux de « rebond » de 80% : quatre visiteurs sur cinq quittent immédiatement le site plutôt que de se soumettre à la vérification. Face à ces contraintes, le groupe Aylo a choisi de bloquer entièrement l’accès à ses plateformes dans la plupart des États concernés, plutôt que d’implémenter les systèmes de vérification requis, laissant la place à l’usage des VPN pour contourner le blocage.

Les limites d’une régulation nationale

L’expérience française, britannique et américaine révèle les limites d’une approche purement nationale. Les procédures judiciaires de blocage sont complexes et chronophages : un site peut rester accessible plusieurs mois après une décision de justice. Surtout, la démocratisation des VPN offre une échappatoire simple aux restrictions géographiques. Les experts estiment qu’une partie significative du trafic se déplace vers ces outils ou vers des sites moins scrupuleux et potentiellement plus dangereux.

La Commission européenne tente d’harmoniser les approches: Le 14 juillet 2025, elle a publié des lignes directrices sur l’article 28 du Digital Services Act qui impose la vérification obligatoire de l’âge pour accéder aux sites pornographiques dans toute l’Europe. En décembre 2023, trois sites pornographiques majeurs (Pornhub, Xvideos et Strip chat) ont été désignés comme « très grandes plateformes » au sens du DSA, ce qui les soumet à des obligations renforcées d’évaluation des risques systémiques.

D’autres pays expérimentent leurs propres solutions. L’Italie exige une vérification via le SPID (système public d’identité numérique), le Danemark encourage des partenariats public-privé, tandis que l’Espagne, la France et l’Italie ont commencé à tester une application commune de vérification d’âge. L’Australie prévoit un déploiement en deux phases entre décembre 2025 et mars 2026 qui touchera les moteurs de recherche, fournisseurs d’accès, sites web, réseaux sociaux et même fabricants d’appareils.

Image à la une : © Petter Lagson – Unsplash

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